L'histoire

par François-Marie Dumas (moto-collection.org)/ photos René Pari

Photos René Pari /archives FMD : moto-collection.org

Vous l'avez sans doute remarqué, on parle plus souvent dans cette rubrique de moutons à cinq pattes que de motos de tous les jours, et bien voici l'exception, cette édition est entièrement consacrée à la 125 Motobécane D 45, mais dans quelles conditions… brrr…

 

Les images vous ont déjà renseignés, il s'agit d'un des innombrables raids du grand Georges Monneret qui aimait se lancer dans des expéditions les plus insolites autant pour faire sa propre pub et celle de ses magasins que pour promouvoir la moto et le scooter en général. Pour se faire, rien de tel que des exploits !

Traversée de La Manche en Vespa en 1952, Raid du Pétrole, Paris - Hassi-Messaoud toujours en scooter pour en rapporter un jerricane d'essence, etc. seul ou en famille, le grand Georges a payé de sa personne pour qu'on parle de lui, de la moto en général et tout particulièrement de celles qu'il vendait dans ses magasins.

 

L'aventure d'aujourd'hui, premier exploit de notre champion dans l'après-guerre, nous ramène en février 1948 où Georges Monneret, bouillant quadragénaire accompagné de ses jumeaux Pierre et Jean âgés de 17 ans dont c'est la première épreuve officielle, fait le pari de battre le train avec des vélomoteurs sur un Paris-Alpe d'Huez.

Monneret a choisi pour cette équipée la toute récente et déjà très populaire D 45 Motobécane qui est alors seul quatre-temps de grande série.  

 

Coup de pub monstrueux, le départ du trio Monneret est donné à Paris le samedi 31 janvier à minuit pétant par le célébrissime boxeur Marcel Cerdan, grand ami de Georges. La foule est au rendez-vous, de même que toute la grande presse quotidienne qui va rendre compte de l'exploit. Il fait froid, il fait nuit, la pluie menace, et la caravane s'ébranle suivie par un camion d'assistance et trois voitures bondées pour les contrôleurs, les amis et les journalistes.

Georges en tête et les deux petits dans son sillage, les 125 moulinent inlassablement frisant parfois les 65 km/h ! Lassant et épuisant, certes, mais après 13 h 44 dont une heure de perdue en trois arrêts ravitaillement à Saulieu, Lyon et Grenoble, les trois Monneret gagnent leur pari avec pour seul ennui, une ampoule de phare grillée. L'arrivée est fêtée en grandes pompes le dimanche un peu avant 14 heures à l'Alpe d'Huez qui est alors le rendez-vous d'hiver de tout le gotha parisien avec des champions sportifs de toutes disciplines dont Chevalier, Franconi pour la moto et même le très jeune Burgraff qui apparaît sur les photos.

 

Cette réussite va sans nul doute accroître encore la liste d'attente pour une D 45 car jusqu'en 1949, il faut toujours un bon d'achat pour acquérir une 125 et la liste est longue. On a du mal aujourd'hui à apprécier la portée d'un tel événement, mais il touche alors le rêve le plus intense de tous : voyager librement et à bas prix.  Le train est battu à plate couture, en temps et, surtout, en budget.

Le train puis le car à partir de Grenoble mettent alors en effet 15 h 30, soit deux heures de plus sur le même trajet. 

Nos trois D 45, elles, n'ont mis que 13h 44 pour couvrir les 670 km à 48,725 km/h de moyenne et surtout elles n'ont consommé chacune que 16 litres du précieux carburant qu'on a encore bien du mal se procurer en 1948 (à 90 F/l alors qu'un ouvrier spécialisé gagne 100 F de l'heure). Cela donne 2,58 litres aux 100 km et 432 F d'essence, un prix dérisoire comparé au train qui, à 2,25 F/km en troisième classe début 1948 aurait coûté 1 507 F pour 670 km. 3,5 fois plus ! Oublions le car pour monter en station et les péages, mais en faisant le même calcul aujourd'hui, une 125 qui aurait miraculeusement la même consommation brûlerait 24 € de carburant pour 670 km alors le train + car pour l'Alpe d'Huez prend actuellement environ 3h 40 et coûte de 22 à 80 € !